C’est l’un des cancers les plus redoutés par les médecins, mais aussi l’un des plus largement évitables. D’après une étude publiée mardi 29 juillet dans la prestigieuse revue The Lancet, 60 % des cas de cancers du foie dans le monde pourraient être évités grâce à une meilleure prévention. Une action coordonnée sur trois fronts — la lutte contre les hépatites virales, la consommation d’alcool et les désordres métaboliques — permettrait, selon les chercheurs, de sauver jusqu’à 15 millions de vies d’ici 2050.
Troisième cause de décès par cancer dans le monde
Le constat est sans appel. Troisième cause de décès par cancer au niveau mondial, le cancer du foie reste l’un des plus difficiles à traiter, avec des taux de survie à cinq ans allant de 5 à 30 %. Et les projections sont alarmantes : d’ici 25 ans, le nombre de cas devrait doubler, passant de 660 000 en 2022 à 1,52 million en 2050. Les décès, eux, grimperaient à 1,37 million par an, contre 760 000 aujourd’hui. L’augmentation serait particulièrement marquée dans les pays à revenu faible et intermédiaire, mais concerne toutes les régions du globe, y compris l’Europe et la France. Les auteurs de l’étude, issus d’un consortium international piloté notamment par l’Université Fudan (Chine), le Mount Sinai Hospital (États-Unis) et l’hôpital Clinic de Barcelone, mettent en garde : sans changement structurel, la vague à venir risque d’être dévastatrice. Pourtant, la majorité des causes de ces cancers sont connues, identifiées, et pour partie évitables.
Parmi les principaux facteurs de risque, les hépatites B et C restent encore aujourd’hui les premières causes du cancer du foie. Mais leur poids relatif pourrait baisser dans les années à venir, grâce aux campagnes de vaccination et de dépistage. À condition, toutefois, que ces efforts soient maintenus et amplifiés. Car dans le même temps, un autre facteur de risque connaît une progression fulgurante : la stéatose hépatique associée à un dysfonctionnement métabolique, ou MASLD, connue aussi sous le nom de « maladie du foie gras métabolique ». En France, cette pathologie silencieuse touche déjà près de 8 millions de personnes. Elle est présente chez 80 % des personnes obèses et 60 % des diabétiques, selon le professeur Lawrence Serfaty, gastro-entérologue au CHU de Strasbourg. « C’est une maladie extrêmement fréquente, et pourtant encore trop peu connue », alerte-t-il. Dans 2 à 5 % des cas, la stéatose peut évoluer vers une fibrose sévère, une cirrhose, voire un cancer du foie. Et selon les projections de The Lancet, elle pourrait être responsable de plus d’un cancer du foie sur dix en 2050, contre 8 % aujourd’hui.
De l’importance des efforts de prévention
Pour les auteurs de l’étude, la solution passe par un effort global et structuré, à la croisée des politiques de santé publique, des systèmes alimentaires et de la régulation du marché de l’alcool. Ils plaident pour un renforcement massif de la vaccination contre l’hépatite B, du dépistage universel de l’hépatite C, et de la lutte contre la consommation excessive d’alcool par des mesures fiscales et réglementaires (taxes, prix minimum, interdiction de la publicité ciblée). Mais surtout, ils appellent à une reconnaissance politique pleine et entière de la maladie du foie gras comme enjeu de santé publique. Cela passe par une prise en charge précoce des populations à risque (diabétiques, personnes obèses), la promotion d’une alimentation saine, la réduction de la consommation de sucre et de graisses saturées, et l’encouragement à la pratique régulière d’une activité physique. La perte de poids, même modeste, a des effets bénéfiques démontrés sur la régression des lésions hépatiques et la réduction du risque de cancer.
L’étude insiste aussi sur les inégalités mondiales. Plus de 40 % des cas de cancers du foie sont recensés en Chine, où les taux d’infection par l’hépatite B restent élevés malgré les progrès de la vaccination. Mais les chercheurs soulignent également la montée en puissance des cas liés au mode de vie occidental, en particulier en Amérique du Nord et en Europe, où la prévalence de la stéatose hépatique explose. Le professeur Jian Zhou, de l’Université Fudan à Shanghai, co-auteur de l’étude, rappelle que le cancer du foie est « l’un des plus meurtriers, mais aussi l’un des plus évitables. Ce paradoxe doit nous pousser à agir vite ». Car les marges de manœuvre sont réelles. En atteignant un taux de réduction de 5 % de l’incidence annuelle — objectif jugé ambitieux mais réaliste — on pourrait éviter jusqu’à 17 millions de cas de cancer du foie d’ici à 2050.
Dans un monde confronté à des défis de santé publique multiples, cette étude rappelle que la prévention reste l’arme la plus puissante dont nous disposons. Encore faut-il avoir le courage politique de l’activer.